Les biais cognitifs, quand le cerveau est en mode automatique

Depuis des millénaires, les êtres humains sont confrontés à un ensemble complexe de stimuli à analyser et de décisions dans leur environnement quotidien. Pour mieux comprendre pourquoi nous prenons certaines décisions ou sommes influencés de certaines façons, il est essentiel d’explorer le domaine des biais cognitifs. Ces biais sont des tendances systématiques et souvent inconscientes de notre pensée qui peuvent nous conduire à des erreurs de jugement et de raisonnement.

Daniel Kahneman, psychologue (et accessoirement récompensé du prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel – communément surnommé « prix Nobel d’économie » – pour des travaux sur la théorie des perspectives, issue des travaux sur le biais « d’aversion à la perte »), est un contributeur important de ce domaine d’étude. Ses travaux ont jeté les bases de la compréhension de la pensée humaine à travers le prisme de deux systèmes : le Système 1 et le Système 2. Le Système 1 est rapide, intuitif et automatique, tandis que le Système 2 est lent et réfléchi. L’interaction complexe entre ces deux systèmes est au cœur des processus cognitifs et des biais auxquels nous sommes confrontés.

Mais pourquoi sommes-nous sujets à ces biais cognitifs ? Pour trouver une réponse, il est essentiel d’explorer notre histoire évolutive. 

L’évolution comme point de départ

Nos ancêtres ont évolué dans des environnements faits de dangers, de compétition, de défis tels que la chasse, la cueillette et la survie dans des conditions souvent hostiles. Nos systèmes cognitifs ont été façonnés par ces expériences et adaptés à des contextes bien spécifiques, sur une période de plus de 2 millions d’années si on se réfère à l’apparition de Homo Habilis.

Ainsi les biais sont la conséquence évolutive d’un besoin fort de l’Homme de pouvoir faire des choix efficaces, c’est-à-dire rapides, minimisant les risques ou la dépense d’énergie, tout en assurant la survie immédiate et l’intégration sociale. Les biais vont s’efforcer de répondre à ce besoin en agissant tels des “lentilles déformantes” ou des  “filtres cognitifs” sur les informations reçues ou les  conclusions à en tirer . 

Cependant, l’évolution rapide vers l’homme moderne et l’émergence de structures sociales différentes ont créé un écart considérable entre notre environnement actuel et celui dans lequel nos systèmes cognitifs ont évolué. Les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui (technologie avancée, interactions sociales complexes, prises de décision complexes, planification à long terme) sont souvent bien loin de ceux auxquels nos ancêtres étaient confrontés (survie, compétition pour la nourriture, hiérarchie forte, dépendance vitale au groupe). Cela a créé un terrain fertile pour les biais cognitifs, car nos systèmes hérités ne sont pas toujours adaptés aux exigences du monde moderne. 

En comprenant mieux ces biais et leurs implications, en sachant les nommer et les repérer, nous serons mieux équipés pour prendre des décisions éclairées et pour naviguer dans un monde où nos instincts et nos réflexes cognitifs peuvent parfois nous jouer des tours.

Voici trois biais couramment rencontrés dans le quotidien et le milieu professionnel, et qui permettront d’illustrer le concept (et je suis sûr que vous allez vous y retrouver ou y retrouver des connaissances !) :

Le biais de confirmation

Le biais cognitif de confirmation est un phénomène qui influence notre façon de penser et de prendre des décisions en favorisant les informations qui confirment nos croyances préexistantes. Il se produit lorsque nous recherchons, interprétons et mémorisons sélectivement les informations qui soutiennent nos opinions, tandis que nous ignorons ou minimisons celles qui les contredisent. En d’autres termes, nous avons tendance à chercher des preuves qui confortent nos convictions et à rejeter ou ignorer celles qui les remettent en question, c’est en quelque sorte un biais qui nous met des œillères !

Vous pouvez y être confronté dans votre quotidien en ne notant que les aspects négatifs relatifs au comportement d’une personne par exemple, au hasard votre ex ou votre chef, ou en ne relevant que les  conséquences positives des choix techniques que vous avez faits sur votre projet, en ignorant largement les difficultés.

L’origine du biais cognitif de confirmation peut être attribuée à notre besoin instinctif de cohérence et de stabilité cognitive. Le biais cognitif de confirmation a pu jouer un rôle adaptatif en nous aidant à filtrer rapidement les informations et à prendre des décisions en fonction de nos expériences passées tout en maintenant une certaine stabilité dans les raisonnement, mais ce qui amène parfois dans notre contexte moderne à avoir une vision déformée de la réalité.

Bien que le biais cognitif de confirmation soit profondément ancré dans nos processus mentaux, il existe des moyens de s’en prémunir, en pratiquant la remise en question de ses propres croyances, en diversifiant ses sources d’information et en développant l’esprit critique (pensez aux chapeaux de Bono ou à la méthode de créativité de Disney). Développer l’écoute par la CNV (Communication Non Violente) ne peut pas faire de mal non plus pour s’ouvrir aux autres points de vue, c’est toujours bon à prendre…

Le biais d’autorité

Le biais d’autorité est la tendance à accorder une valeur excessive aux opinions et aux actions d’une personne qui est perçue comme étant une autorité ou ayant une expertise dans un domaine spécifique, sans remettre en question ou évaluer de manière critique ces informations.

Vous pouvez y être confronté dans votre quotidien, dès qu’une figure de compétence ou de décision est présente. Vous pouvez aussi jeter un œil à l’expérience de Milgram qui met en lumière ce biais d’autorité (et fait un peu froid dans le dos). 

A l’origine, ce fonctionnement était important pour prendre rapidement des décisions basées sur les connaissances et les compétences des individus considérés comme des autorités dans le groupe. Par exemple, lorsqu’il s’agissait de trouver de la nourriture ou d’éviter les prédateurs, il était essentiel de faire confiance aux chasseurs expérimentés ou aux chefs de tribu pour prendre les bonnes décisions et guider au mieux le groupe. 

Pour se prémunir du biais d’autorité, il est important de développer un esprit critique et de ne pas accepter aveuglément les opinions ou les informations présentées par une autorité (même si en lisant ceci vous vous dites sans doute que ce ne sera pas facile). Il est essentiel d’évaluer de manière indépendante les arguments et les preuves qui soutiennent ces opinions. La recherche de différentes sources d’information, l’examen de différentes perspectives et la remise en question constructive peuvent aider à réduire l’impact du biais d’autorité. Il est également important de se rappeler que même les autorités peuvent se tromper ou avoir des biais, et qu’il est donc important de considérer les informations de manière objective et rationnelle.

Le biais de récence

Le biais de récence est la tendance à accorder une importance excessive aux informations ou aux événements récents et à négliger ou sous-estimer ceux qui se sont produits plus tôt dans le temps. Cela peut conduire à une distorsion de la perception de la réalité et à des décisions prises sur la base d’informations incomplètes ou biaisées.

Dans un groupe, le biais de récence peut se manifester lorsque les membres accordent une attention disproportionnée aux événements ou aux idées récentes, en les considérant comme plus significatifs ou pertinents que ceux qui se sont produits plus tôt. Lors d’une réunion de planification de projet, les participants peuvent se concentrer uniquement sur les informations ou les évènements les plus récents, en négligeant les éléments plus anciens qui pourraient être pertinents également.

A l’origine, le biais de récence devait être utile car il fallait souvent réagir rapidement aux changements de l’environnement immédiat pour assurer la survie. Les informations récentes, comme la présence de prédateurs ou la disponibilité de ressources, étaient cruciales pour prendre des décisions adaptées. Il n’y avait pas autant de planification à long terme…

Pour se prémunir du biais de récence, il est important de prendre en compte l’ensemble des informations disponibles, y compris celles qui remontent dans le temps. Il est bénéfique de faire preuve de réflexion et d’examiner attentivement les événements passés, les leçons apprises et les informations historiques pertinentes car comme le dit George Santayana Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter.” En encourageant la réflexion à long terme et en prenant en compte les données et les expériences passées, il est possible de réduire l’influence du biais de récence et de prendre des décisions plus équilibrées et éclairées. 

Pour aller plus loin

Nous avons vu rapidement les biais cognitifs et trois exemples assez courants. Ils sont une réalité incontournable de notre fonctionnement mental. En les comprenant et en les reconnaissant, nous pouvons prendre du recul par rapport à nos propres décisions et actions. Cela nous permet d’éviter les pièges de la pensée automatique et de nous engager dans une réflexion plus critique et équilibrée. En intégrant cette prise de conscience, nous sommes mieux équipés pour prendre des décisions éclairées et favoriser des interactions constructives, tant au niveau individuel que collectif.

Sachez qu’il existe des dizaines de biais et autres « effets », et qu’ils sont plutôt bien documentés sur le net. Vous pouvez également trouver un codex qui les répertorie et essaie d’en proposer une classification. Par ailleurs, sur ce sujet le livre de Daniel Kahneman « Système 1, Système 2 : les deux vitesses de la pensée » est un plaisir à lire, je vous le recommande.

Dans un article à venir, je vous présenterai grâce à cet éclairage – comme j’ai pu le faire auprès de mes collègues de Worldline lors d’un BBTex début juin –  pourquoi notre cerveau (le pauvre) n’aime décidément pas les réunions !

Au plaisir de vous lire !

(Photo de That’s Her Business sur Unsplash)

3 commentaires sur “Les biais cognitifs, quand le cerveau est en mode automatique

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  1. Article très intéressant. Suggestion d’amélioration à la marge: il n’y a pas de Prix Nobel d’économie. Il s’agit du prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel.

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