Cet article est la suite de l’article “Les biais cognitifs, quand le cerveau est en mode automatique”.
Il est probable que dans votre vie professionnelle vous soyez amené à vous réunir avec d’autres personnes dans le but de partager des informations et prendre des décisions.
Si les résultats de ces réunions sont systématiquement décevants, si vous avez la vague sensation que l’équipe n’a pas donné son maximum ou si, une fois de plus, une seule personne a réussi à imposer ses idées et à frustré toutes les autres, cela indique probablement que vous n’avez pas réussi à protéger cette réunion contre l’influence négative de nombreux biais cognitifs et sociaux qui affectent les groupes. Ces biais peuvent inclure des préjugés inconscients, des conflits d’intérêts, des pressions de groupe, des stéréotypes et d’autres facteurs qui altèrent la qualité de la réflexion collective. Il est essentiel de reconnaître ces biais et de mettre en place des stratégies pour les atténuer, pour enfin participer à des réunions plus courtes, efficaces, ou chacun peut apporter sa contribution maximale.

D’abord, qu’est ce qu’un biais cognitif ?
Comme nous l’avons abordé dans un précédent article, un biais cognitif désigne une « déviation dans le traitement cognitif d’une information par le cerveau ». Il s’agit d’un mécanisme automatique qui permet de traiter l’information de manière plus efficiente (c’est-à-dire en consommant moins d’énergie, en prenant des décisions plus rapides et en minimisant les risques pour la survie immédiate ou l’intégration sociale, etc.). Le cerveau sélectionne les informations soit en amont (en ne tenant compte que d’une partie des informations reçues), soit en aval (en tirant des conclusions partielles).
En général, ces réactions automatiques sont utiles à l’homme afin d’éviter de se faire dévorer par un tigre à dents de sabre ou d’être exclu de son groupe et chassé de la caverne, bien que ces situations soient heureusement moins courantes de nos jours !
Cependant, nous pouvons observer l’apparition de mécanismes de biais dans de nombreuses situations quotidiennes, parfois de manière presque imperceptible, parfois de manière flagrante (comme dans les théories du complot, dans des effets de foule en contradiction avec nos comportements individuels habituels, etc.).
Avant de commencer la réunion
Avant même de débuter la réunion, pour éviter certains biais il est recommandé d’établir un ordre du jour qui sera joint avec l’invitation. Idéalement cet ordre du jour comportera un aperçu du minutage et de la séquence des sujets par ordre d’importance. Cela vous permet en outre de pouvoir remplacer au pied levé l’organisateur s’il n’est plus disponible.
Dans cet ordre du jour, il peut également être utile de mentionner si une distribution de rôles est nécessaire au début de la réunion .
L’établissement d’un ordre du jour incluant les objectifs spécifiques de chaque point à discuter permet aux participants de préparer la réunion à l’avance, ce qui peut conduire à un gain de temps considérable et va éviter de laisser se développer le biais d’attribution qui peut amener les participants à faire des suppositions – bien souvent à tort – concernant les intentions de l’organisateur. L’esprit a horreur du vide et va vite vouloir combler un manque d’information par une hypothèse, même si elle est tirée par les cheveux.
De plus, disposer d’un ordre du jour permet d’éviter que les participants ne s’attardent pendant la réunion sur des sujets qui ne sont pas importants, voire qui sont… hors-sujet. En effet, cela permet d’éviter le biais cognitif de disponibilité, qui fait que les individus accordent plus d’importance à des informations facilement accessibles dans leur mémoire (par exemple, ce qui s’est passé le matin même ou les discussions récurrentes depuis quelques temps dans l’équipe), plutôt qu’à des informations plus pertinentes et directement liées à l’objectif de la réunion. Et avec un ordre du jour, vous aurez plus de facilité à rappeler à l’ordre les participants qui digressent.
De même, il est recommandé de limiter le nombre de participants à la réunion en n’invitant que ceux dont la présence est nécessaire pour la prise de décisions ou la réflexion (voir les fameuses réunions pizza attribuées au consultant T.Peters, popularisées par J. Bezos). Cela permet d’éviter l’effet de Ringelmann, selon lequel plus il y a de membres dans un groupe, plus l’énergie consacrée à l’objectif diminue pour chacun, en raison de problèmes de coordination. Cela limite également le biais de concurrence pour l’attention, qui contribue à faire que certains participants parlent pour se sentir faire partie du groupe plus que pour vraiment contribuer au résultat. Enfin cela limite l’effet du biais de dilution de la responsabilité, qui contribue à ne pas se sentir responsable du résultat final quand le groupe est assez grand.
Donc plus il y a de personnes dans votre réunion, plus il y a de chance que les participants viennent juste en spectateurs, pour se faire bien voir, ou en se disant qu’ils vont faire autre chose parce que quelqu’un d’autre sera là pour faire le travail à leur place… En terme d’efficacité, on peut rêver mieux.
Au démarrage de la réunion
Au démarrage de la réunion, le fait de distribuer un rôle aux différents acteurs les responsabilise et évite de nouveau le biais de la diffusion de responsabilité, qui les laissent penser que la responsabilité de la bonne tenue de la réunion n’est pas la leur mais exclusivement celle de l’organisateur ou alors celle de tout le groupe (et quand la responsabilité est pour tout le monde, souvent elle n’est pour personne). Avec des rôles pour chacun ou presque, les participants sont tenus à être attentifs sur toute la durée de la réunion. Les différents rôles permettent en outre d’optimiser les points clés d’une bonne réunion, dont une animation efficace, une synthèse en sortie, un timing respecté, une amélioration continue des process en jeu. Je vous encourage à voir les rôles délégués d’Alain Cardon à ce sujet.
Un autre élément à amener au début de la réunion est la présentation d’un cadre relationnel, qui va permettre de formuler les règles du groupe. Un cadre relationnel est une liste des règles qui est partagé à tous, que l’on fait valider par tous et qui permet un fonctionnement plus optimal. Ce cadre relationnel pourrait indiquer que:
- chacun parle à son tour et seulement pour des éléments nouveaux et pertinents, pour éviter le biais de désirabilité sociale, qui pousse à prendre la parole “pour ne rien dire” (ou plutôt pour exister dans le groupe) et qui peut être accentué lorsque les participants se coupent la parole. Par ailleurs, lorsque plusieurs personnes parlent en même temps, il devient difficile de suivre et de comprendre ce qui est dit, et cela peut conduire à des malentendus, des pertes d’information et à une baisse de la qualité des échanges.
- chaque idée a la même valeur et le droit d’être exprimée, quelqu’en soit son auteur, pour éviter soit le biais d’autorité (le manager est une divinité, écoutons ce qu’il a à dire car seul lui détient la vérité…) ou le biais de confirmation qui nous fait valider nos croyances et empêcher d’accepter les idées qui n’y correspondent pas.
- les participants ont des permissions comme par exemple le droit de quitter la salle en cas d’urgence, pour éviter l’effet Zeigarnik qui se produit lorsque notre cerveau retient de manière active les tâches inachevées ou les questions en suspens, ce qui peut entraîner une distraction mentale persistante et une difficulté à se concentrer sur d’autres tâches. Concrètement, si vous savez que vous allez recevoir un appel important mais que vous ne savez pas si vous pouvez décrocher et vous absenter pour répondre, vous allez focaliser toute votre attention sur cette incertitude et vous serez mentalement absent de la réunion.
- le groupe attend une réelle bienveillance tout au long de la réunion, afin d’éviter le biais de négativité, qui nous fait donner plus d’importance aux éléments négatifs. En créant un contexte positif, on augmente la concentration et on diminue les risques de frustration et de colère et donc la dépense d’énergie inefficace. A noter que la focalisation sur des actions positives dans un groupe améliore le bien-être des individus, aide à se débarrasser des pensées négatives et contribue à focaliser tout le monde sur les moyens de réussite.
Lors des échanges et des prises de décision
Les échanges et les prises de décision sont – normalement – les raisons d’être des réunions. S’il n’y a pas d’information pertinente échangée et/ou de décision prise, il est fort probable que la réunion ait été une vaste perte de temps, avec une démotivation générale à la clé. Ces phases sont particulièrement sensibles aux biais cognitifs car les interactions vont se multiplier, ainsi que les occasions de voir se révéler les désaccords entre les participants.
Lors des échanges, les participants pourront être soumis au biais de récence qui va les faire davantage parler des événements les plus frais dans leur esprit ou être confrontés au biais d’information, par lequel ils vont souhaiter avoir TOUTES les informations sur le sujet traité – jusqu’à en avoir trop à évaluer – au point même qu’ils ne pourront plus prendre sereinement de décision (suivant l’adage que “le mieux est l’ennemi du bien”). Au contraire, ils pourraient se retrouver confrontés à nouveau à la diffusion de la responsabilité, quand personne ne prend la direction des opérations ou encore au biais de conformité, qui fait éviter les sujets qui fâchent et laisse l’équipe tourner en rond sur des sujets consensuels.
Pour éviter ces différents biais, l’usage de techniques de brainstorming à base de réflexion écrite individuelle sur post-it ou sur papier libre peut permettre à chacun de préparer ses idées et d’utiliser positivement le biais de cohérence : écrire ses idées sur des post-it par exemple, est une tâche facile et qui peut être terminée rapidement. Cela joue sur l’image que chacun a de lui-même en tant que personne compétente et accomplie. En conséquence émerge alors un sentiment d’engagement envers la réussite de la réunion, ce qui motive à prolonger l’action initiale et à partager les idées avec le groupe.
Il est également possible de faire appel à un facilitateur pour la réunion. Cela présente un certain nombre d’avantages :
- le facilitateur est (et doit rester) neutre, équitable et constructif
- il se permet d’aller titiller chacun des participants afin qu’il s’exprime
- il accompagne la compréhension du groupe en facilitant la reformulation, et évite ainsi que ne s’installent sous-entendus et mauvaises interprétations
- il s’assure que le groupe garde le focus sur les objectifs
- il questionne les points de vue pour éviter le biais de sympathie (tu es mon ami donc par défaut je suis d’accord avec toi) ou d’attribution hostile (je te connais moins bien donc je suis contre toi)
- il encourage l’engagement et la prise de décision et donc évite le biais de status quo qui pousse parfois les participants à ne rien changer pour ne prendre aucun risque
- Il permet à l’équipe de prendre du recul et permet d’éviter le biais de cadrage qui fait prendre en compte de manière trop importantes les émotions associées aux éléments partagés par le groupe
A noter que le facilitateur peut faire partie de l’équipe. On pourra s’assurer d’éviter le biais d’autorité en ne choisissant pas le plus “gradé”. Pour davantage de recul,il est même possible de solliciter quelqu’un d’externe à l’équipe.
Lors de la prise de décision, certaines méthodes permettent d’éviter également le biais d’autorité (comme le dot-voting, la prise de décision par consentement, ou tout autre stratégie de prise de décision dont le processus est clairement partagé et accepté par tous dès le départ) .
La prise de hauteur, avec ou sans facilitateur est importante également pour éviter plusieurs biais qu’il sera important de repérer :
- le NIH (Not Invented Here) qui pousse les participants à choisir de faire leur propre solution plutôt que d’utiliser celles qui existent déjà, mais faites par d’autres
- le biais de représentativité, qui revient à se baser sur une représentation de la réalité ou sur des stéréotypes plutôt que sur une analyse statistique ou à généraliser à partir de cas particuliers ou d’exemples, sans se baser sur un raisonnement logique et probabiliste, comme par exemple “on ne peut pas prendre une femme pour ce poste car il faut du sang-froid“, ou “embauchons ce candidat, avec ses lunettes et sa coupe de cheveux impeccable, il semble être un bon comptable”
- Le biais d’optimisme qui fait ne pas considérer les risques et la réalité des problèmes qui vont immanquablement survenir dans le quotidien. C’est ce biais qui fait prendre des engagements complètement irréalistes car basés sur le fait que la chance sera du bon côté à chaque moment.
- le biais d’escalade de l’engagement, qui est une vraie catastrophe dans les entreprises dans lesquelles il apparaît. Il consiste à ne pas savoir arrêter un projet qui va dans le mur car l’investissement a été conséquent. Il est alors difficile de se renier et d’accepter d’avoir perdu du temps ou de l’argent, ce qui conduit bien souvent à investir davantage pour essayer désespérément de sauver quelque chose, avec un coût exorbitant. Ce qui est surprenant c’est qu’il s’agit d’un mécanisme que l’on voit souvent dans les projets mais qu’on retrouve aussi chez les joueurs compulsifs !
Les biais d’escalade de l’engagement et d’optimisme sont deux biais qui soulignent la difficulté pour l’être humain d’évaluer correctement une situation. Pour se défaire des biais liés aux évaluations erronées, il est recommandé de faire appel à des projections réalistes basées sur des rétrospectives des expériences précédentes (un peu comme quand les équipes agiles évaluent leur vélocité à venir sur la base des sprints précédents), de questionner les idées et arguments clés en utilisant des méthodes critiques (comme les chapeaux de bono, ou la méthode Disney), ou encore en calculant le ROI (Return On Investment), sans oublier également le COI (Cost Of Inaction).
Une idée peut aussi être de faire faire un pas de côté aux participants en leur proposant de lister les biais cognitifs susceptibles d’être en jeu dans leur quotidien, leur faire identifier les moments où ceux-ci se sont manifestés concrètement, et de leur faire identifier leurs mauvaises habitudes afin qu’ils puissent les corriger de manière autonome.
Au moment de clore la réunion
Voilà, les décisions sont prises, c’est la fin de la réunion. Il existe probablement un compte rendu, une liste d’actions, et les participants ressortent avec la motivation d’accomplir de grandes choses. C’est le moment de jouer sur le biais de cohérence et le biais de conformité en faisant verbaliser et noter à chacun ses engagements. En effet, chacun aura tendance à vouloir faire ce qu’il a dit pour rester cohérent avec lui-même, tout en ne froissant pas le groupe pour éviter d’être pointé du doigt la prochaine fois.
Pour projeter les participants dans leur mission, allez plus loin en leur demandant quelles sont les difficultés qu’ils vont pouvoir rencontrer et ce qu’ils peuvent mettre en œuvre pour les anticiper ou les surmonter plus facilement. Cela permet de rajouter une dose d’engagement, rassurer sur la capacité à mener les actions et aborder les difficultés potentielles comme des défis et plus comme des fatalités.
En conclusion, lorsque vous organisez des réunions, il est essentiel d’exprimer sa confiance au groupe, tout en restant vigilant face à vos propres biais. Si vous suspectez un biais qui pénalise la réunion, ne craignez pas de le pointer avec tact (sortez la carte de la CNV afin de faire passer le message de manière positive), de solliciter les opinions des autres participants et de proposer des ajustements pour les prochaines fois. Désigner un observateur chargé de déceler les biais éventuels peut être une solution par exemple. Et n’oubliez pas que l’amélioration est un processus continu qui requiert des ajustements progressifs. Ne cherchez pas la formule parfaite dès le premier essai, mais apprenez de vos erreurs au fil du temps. Pensez PDCA et accordez-vous le droit de vous tromper, n’oubliez pas que l’objectif ultime est d’atteindre des résultats de qualité, et cela ne peut se faire sans un processus d’amélioration continue et du temps.
Si vous vous trouvez bloqués, n’hésitez pas à solliciter l’aide d’une personne extérieure. Un regard neuf peut souvent révéler ce qui se cache dans les angles morts. En collaborant étroitement avec une personne extérieure, vous pourrez identifier les points faibles et les opportunités d’amélioration que vous auriez pu manquer autrement.
En mettant en pratique ces conseils, vous serez en mesure de créer des réunions plus efficaces et productives, favorisant une meilleure collaboration au sein de votre équipe.
Bonnes réunions à tous !

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